Mais Magda proteste : Créüse vivra ! Celle qui doit être sacrifiée prend son destin en main — à « l’instant » où il faut le prendre, car sinon il sera à jamais trop tard. Elle usurpe l’identité de son époux, aidée de sa nourrice Caieta et de quelques dieux et déesses créés pour la circonstance —Èchiès, la sœur jumelle de Vénus, notamment, est une invention extraordinaire, de même que la façon tout à fait « naturelle » dont Magda l’introduit dans le récit. C’est Créüse qui deviendra l’héroïne, qui accomplira et son propre destin, et celui d’Énée, son époux.
De tels livres sont rares, synthèse et analyse tout à la fois, testament, réflexion sur ce que sont les mythes, les « héros ». Mais aussi — et c’est un tour de force supplémentaire —, par l’humour et le retrait que l’auteur parvient à maintenir tout au long du livre, par la façon dont elle « exploite » la richesse de l’œuvre d’origine — qu’elle connaît dans ses moindres respirations —, sans se laisser dépasser ni par ses propres créatures ni par celles de Virgile.
L’Instant - La Créüside est un texte hors normes, un chef-d’œuvre, de quelque côté qu’on l’aborde. Projet d’une vie, construit de main de maître par son auteur qui accède à la pure magie de l’écriture et qui illustre à merveille le propos que Magda Szabó fait dire à la petite fille dans Le Vieux Puits : « Quand le dénouement ne me plaisait pas, j’inventais une suite ou une autre fin. »